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La mort de Vera Kundera, l’autre moitié de Milan Kundera

Vera Kundera, qui fut l’épouse et le grand amour de l’écrivain franco-tchèque Milan Kundera (1929-2023) est morte au Touquet (Pas-de-Calais) samedi 14 septembre. Dans cette ville qu’elle portait dans son cœur – le couple y posséda longtemps un appartement donnant sur la plage, cette même plage que l’on retrouve dans le roman L’Identité (Gallimard, 1998), de Kundera –, elle était venue se reposer, hors de Paris, quelques jours à l’hôtel. C’est dans sa chambre qu’elle a été retrouvée sans vie au petit matin. Elle allait avoir 89 ans.
La connaissant, on aurait tendance à penser que sa mort remonte à la veille, au vendredi 13, tant elle raffolait des signes. Superstitieuse, elle les traquait en riant et les interprétait, jamais vraiment dupe, avec son accent délicieux et sa verve inimitable. Elle racontait souvent qu’avant de quitter « la Tchéco », elle avait consulté un voyant qui lui avait dit : « Petit scorpion tu ne mourras pas en Bohême. » Ces temps-ci, elle soupirait, plus que jamais nostalgique de sa terre natale : « Je crains qu’il ait raison. »
C’était une brune merveilleuse, menue, toujours d’une grande élégance. Née à Prague le 24 octobre 1935, Vera Hrabankova rencontre Milan Kundera, en 1967, dans l’effervescence joyeuse du « printemps de Prague ». Elancée, les cheveux très courts, elle a des faux airs de Jean Seberg et six ans de moins que lui (qui a déjà été marié très brièvement). Dans sa jeunesse, elle n’a guère été heureuse. Alors qu’elle est encore petite, sa mère les a bandonnés, elle, son père et ses sœurs. A 12 ans, elle a vu l’une d’elles, Eva, mourir sous ses yeux d’une méningite.
Puis son père est injustement accusé de vouloir partir en Australie pour fuir la Tchécoslovaquie communiste. « Nous avions peu d’argent alors, nous racontait-elle dans Milan Kundera. “Ecrire quelle drôle d’idée” (Gallimard, 2023). Nous louions une partie de notre appartement. Une Française qui était locataire chez nous a prétendu que mon père voulait fuir clandestinement. Elle est allée voir la police et ils ont arrêté mon père. » C’était resté pour elle un traumatisme inguérissable et elle était intarissable sur ce père tant aimé qui lui avait appris à lire à 6 ans et fait découvrir la poésie.
Tandis qu’il dépérit en prison, Vera est livrée à elle-même. A 16 ans, sans argent, elle trouve un emploi dans une brasserie, comme Tereza dans L’Insoutenable légèreté de l’être (Gallimard, 1984). Elle sert des bières à la gare de Bruntal, en Moravie : « La poésie me faisait tenir. » Elle apprend par cœur des kilomètres de vers « pour ne pas devenir folle ». Se passionne pour Robert Desnos et pour Maxime Gorki, peaufine sa diction et, en 1958, se présente à un concours de poésie local qu’elle remporte.
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